La loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes,
aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants,
entrée en vigueur le 1er octobre 2010, a introduit dans notre droit civil une procédure nouvelle : l’ordonnance de protection délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales.
L’ordonnance de protection est régie par les articles 515-9 à 515-13 du code civil et la procédure spécifique applicable à ce nouveau dispositif, précisée par le décret du 29 septembre 2010, figure dorénavant sous les articles 1136-3 à̀ 1136-13 du code de procédure civile.
- La création par la loi du 9 juillet 2010 du mécanisme de l’ordonnance de protection répond à un souci d’évolution et de perfectionnement des réponses apportées au phénomène des violences conjugales (I) en adoptant des mesures adaptées (II).
I.Les causes de l’adoption de l’ordonnance de protection :
Le législateur en adoptant la loi du 9 juillet 2010 a souhaité approfondir le dispositif existant en matière de lutte contre les violences conjugales (B), les pouvoirs publics étant de plus en plus conscients de leur rôle essentiel dans ce combat quotidien (A).
A)Les motifs de la genèse de l’ordonnance de protection
Les violences conjugales constituent un véritable fléau social et existent dans un contexte de discrimination et d’inégalité entre les femmes et les hommes. « Toutes les violences faites aux femmes s’inscrivent dans un continuum, qui trouve sa source dans les stéréotypes et qui se prolonge jusqu’aux crimes sexuels et aux meurtres conjugaux ».[1]
Elles ne peuvent être considérées comme simplement accidentelles dans les relations entre individus puisqu’à l’échelle mondiale, les chiffres sont alarmants : 35 % des femmes sont victimes de violences. [2]
Ces violences sont le fait d’un abus de pouvoir dans une relation de couple où l’un des partenaires met en place un rapport de force pour contrôler l’autre.
Elles ont un effet désastreux pour l’humanité toute entière et touchent non seulement les femmes, mais également leurs enfants, ainsi que les hommes qui les exercent. Elles constituent un grave problème de société et de santé publique : la violence coûte cher.
Monsieur LAZIMI, médecin généraliste et Directeur du centre municipal de santé de Romainville a relevé lors de la conférence des 2 et 3 septembre 2013 que leur coût s’élevait à 2 milliards et demi d’euros. Cela se traduit par des prescriptions à répétition, des arrêts maladies, des hospitalisations.
Cette violence entraîne des conséquences physiques, psychologiques mais également pédiatriques et peut dans les cas les plus dramatiques conduire à une issue mortelle, le féminicide, la mortalité maternelle, des troubles sexuels et psychologiques ou encore une mutilation des victimes.
Ce constat est d’autant plus important que dans l’imaginaire populaire, la violence conjugale se traduit simplement par son aspect physique
B)Le processus d’adoption de l’ordonnance de protection :
Jusqu’en 2010, seule la loi du 26 mai 2004[3] offrait un recours civil au conjoint victime de violences. Cette réforme avait introduit l’article 220-1 alinéa 3 dans le Code civil qui prévoyait la procédure du « référé violence »[4].
Ce dispositif prévoyait la possibilité de demander au juge aux affaires familiales (ci-après JAF), la résidence séparée des époux avec l’attribution, sauf circonstances particulières, de la jouissance du logement à la personne en danger.
Cette loi a apporté une garantie à la victime des violences puisque celle-ci n’était plus obligée de fuir son domicile. Elle pouvait obtenir le départ de son époux dans la mesure où la preuve des violences physiques ou morales était apportée.
Ce mécanisme est vite apparu comme insuffisant puisqu’il n’a pas permis de réduire significativement les chiffres des violences conjugales, notamment parce qu’il ne concernait que les couples mariés.
L’entrée en vigueur de la loi du 9 juillet 2010 et son perfectionnement par la loi du 4 août 2014, est le résultat d’un long cheminement, de l’adoption successive des textes venant renforcer ce dispositif de lutte contre les violences conjugales. La prise en compte de la circonstance aggravante du statut de conjoint, concubin, pacsé ou ex en est une illustration parfaite.
L’intitulé même de cette loi « relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants » prend tout son sens au travers de l’ordonnance de protection. Ce mécanisme traduit à lui seul la volonté des pouvoirs publics de lutter plus ardemment contre les violences intrafamiliales.
II.Le contenu du dispositif de l’ordonnance de protection :
En s’articlant autour de trois axes majeurs (A), la loi du 9 juillet 2010 a permis d’intégrer dans son dispositif de lutte contre les violences conjugales le mécanisme de l’ordonnance de protection (B).
A)La réponse tripartite apportée par le législateur :
La réponse récente apportée par le législateur s’articule autour de trois axes : « la protection, la punition et la prévention »[5].
La protection de la victime se traduit par la mise en œuvre de l‘ordonnance de protection, du dispositif du téléphone d’urgence, du principe d’éviction du conjoint violent et du développement de l’hébergement d’urgence.
La prévention, quant à elle, doit se faire à l’école pour lutter contre les stéréotypes qui se construisent, en s’attaquant aux racines mentales et sociétales de la discrimination, par l’organisation d’un dépistage des violences mais également par une formation continue des professionnels.
Enfin, le volet punition trouve son écho dans la loi sur le harcèlement sexuel, la loi du 5 août 2013[6].
L’ordonnance de protection constitue un instrument majeur dans la lutte contre les violences conjugales et ce, quel que soit la forme de conjugalité concernée. En effet, la loi du 9 juillet 2010 a créé cette institution que l’on retrouve aux articles 515-9 à 515-23 du C.civ.
Celle-ci a pour objet, comme son nom l’indique, d’assurer la protection de la victime de violences exercées au sein du couple ou par un ancien conjoint, concubin ou partenaire de pacs, peu important la nature du lien qui les unit ou les a un jour uni. Elle peut également être délivrée lorsqu’une personne est menacée de mariage forcé.
La victime dispose de la possibilité de saisir le JAF selon une procédure contradictoire et urgente qui aura pour effet d’organiser la situation matérielle et le cas échéant les relations avec les enfants après la séparation du couple. Les violences doivent avoir pour conséquence de mettre en danger la personne qui en est victime et éventuellement le ou les enfants du couple.
L’ordonnance de protection a été confiée au JAF. Elle est soumise aux règles de procédure régissant le procès civil, tout en tenant compte de la contrainte résultant de l’urgence de la situation de danger. Le choix du droit civil peut surprendre puisque l’on retrouve la majorité des mécanismes de lutte contre les violences conjugales dans le droit pénal.
Pour Monsieur Nicolas BONNAL, Président de Chambre à la Cour d’ Appel de Paris, le choix du JAF doit être salué puisqu’il est le juge qui a connaissance de la relation des couples et des difficultés afférentes[7].
Il est également à noter que le ministère public est partie jointe à l’ordonnance de protection puisqu’il peut de son propre chef saisir le JAF d’une demande de délivrance de celle-ci. Hormis cette hypothèse peu courante, la loi du 9 juillet 2010 a prévu une information permanente du ministère public ainsi que sa convocation systématique à l’audience.
Cette convocation est nécessaire puisqu’elle permet un échange régulier d’information entre magistrats dans le cadre des procédures où le droit de la famille et le droit pénal sont en constante interaction.
Nombreux sont les praticiens qui s’accordent sur la dimension psychologique que revêt le choix de la procédure civile.
La voix de la procédure civile prend au travers de ces quelques mots, tout son sens. Déjà fragilisées par un contexte familial douloureux, ces victimes n’ont pas nécessairement la force de supporter le poids d’une « culpabilité supplémentaire ». Il revient donc à l’appareil judiciaire de suppléer et à tout le moins d’accompagner les victimes dans leur démarche et c’est là tout l’objet de l’ordonnance de protection.
B)Les critères et instruments liés à l’ordonnance de protection :
L’article 515 – 11 du C.civ a institué deux critères cumulatifs permettant la délivrance par le magistrat de l’ordonnance de protection [8]:
- -le danger auquel est exposé la victime mais également les enfants du couple
- -la vraisemblance des faits de violences allégués.
Ces deux conditions traduisent l’objectif de ce nouveau dispositif : éviter un renouvellement des violences.
L’ordonnance de protection est une procédure d’urgence et donc provisoire par essence. La loi du 4 août 2014 a étendu la durée pour laquelle l’ordonnance de protection peut être délivrée, passant de 4 à 6 mois[9].
Le danger est une notion subjective qu’il appartiendra au juge d’analyser grâce aux éléments qui rendent vraisemblables les faits allégués. Le législateur en parlant de « vraisemblance des violences » vise un standard de preuve atténué.
Une telle disposition peut apparaître pour certains comme une « présomption de culpabilité ». Pourtant en matière de fait juridique, la preuve est libre et peut se faire par le biais de simples présomptions. Cette précision du législateur apparaît pourtant opportune car il sera toujours difficile pour les victimes de produire des éléments, les actes violents se déroulant dans le huis clos familial. Il convient également de préciser que le rôle du Juge aux Affaires Familiales n’est pas de condamner l’auteur des violences comme le ferait un Tribunal Correctionnel, mais bien de protéger les victimes de violences.
En 2012, 25 % des ordonnances de protection délivrée sur le territoire national, ayant fait l’objet d’un débat au fond ont été rejetées[10]. D’autre part, la matière étant on ne peut plus complexe du fait de l’ambivalence des victimes, cette exigence de preuve « peut être considérée comme un rempart contre l’erreur judiciaire[11] ».
La mesure centrale de la loi du 9 juillet 2010 fournit un cadre d’ensemble aux personnes victimes de violences qui permet de stabiliser leur situation juridique grâce à une série de mesures organisant la séparation du couple.
Afin de lutter le plus efficacement possible contre le renouvellement des violences, le dispositif de l’ordonnance de protection se doit de permettre à la personne en danger d’échapper au joug de l’auteur des violences.
La mesure la plus prononcée est l’interdiction d’entrer en contact avec certaines personnes désignées par le juge[12]. Cette prescription est assez large puisque l’une des ordonnances de protection délivrée par le TGI de Strasbourg prévoyait une interdiction d’entrer en contact avec les grands-parents de la victime.
Pour assurer la sécurité de la victime, le magistrat peut lui attribuer le domicile conjugal, comme c’était déjà le cas sous l’ancien mécanisme du référé violence, en ordonnant l’expulsion du conjoint violent. Cette disposition est complétée par la possibilité de mettre, à la charge du défendeur, le paiement des frais y afférents.
La dissimulation d’adresse peut également être prononcée à la demande de la victime avec différentes possibilités de domiciliation.
Les mesures concernant l’exercice de l’autorité parentale et l’exercice du droit de visite et d’hébergement sont elles aussi primordiales. Le devenir des enfants est une question récurrente pour les femmes et l’une d’elle m’avait demande s’il était possible de retirer l’autorité parentale au père qui la frappait lorsqu’elle était enceinte.
Le magistrat peut également prononcer la confiscation d’une arme.
Toutes ces obligations sont sanctionnées pénalement. La loi du 9 juillet 2010 a également rendu automatique la délivrance d’une carte de séjour aux personnes victimes de violences conjugales ce qui est essentiel tant les femmes en situation irrégulière sont vulnérables.
Au regard des difficultés pratiques et des carences des anciens dispositifs légaux de protection des victimes de violences conjugales, cette nouvelle institution ne peut être que saluée. Il n’en reste pas moins que plusieurs problèmes d’application ont été révélés par la mise en œuvre pratique de cette institution.
[1] Déclaration de Madame Najat VALLAUD-BELKACEM, Ministre des droits des femmes, porte parole du Gouvernement, lors de la Conférence des 2 et 3 septembre 2013 sur les « violences faites aux femmes ».
[2]Étude réalisée par le département santé génétique et recherche de l’organisation mondiale de la santé
[3] Loi N° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce
[4]Article 220-1 alinéa 3 du Code civil « Lorsque les violences exercées par l’un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, le juge peut statuer sur la résidence séparée des époux en précisant lequel des deux continuera à résider dans le logement conjugal. Sauf circonstances particulières, la jouissance de ce logement est attribuée au conjoint qui n’est pas l’auteur des violences. Le juge se prononce, s’il y a lieu sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale et sur la contribution aux charges du mariage. Les mesures prises sont caduques si, à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de leur prononcé, aucune requête en divorce ou en séparation de corps n’a été déposée ».
[5]Déclaration de Madame Najat VALLAUD-BELKACEM, Ministre des droits des femmes, porte parole du Gouvernement, lors de la Conférence des 2 et 3 septembre 2013 sur les « violences faites aux femmes ».
[6]Loi du 5 août 2013 N° 2013-711 portant diverses dispositions d’adaptation dans le domaine de la justice en application du Droit de l’Union Européenne.
[7]Conférence du 25 octobre à l’ ERAGE « Les violences au sein du couple : quel traitement social, civil et pénal ? ».
[8]Article 515-11 du C.civ Modifié par la loi N°2014-873 du 4 août 2014 « L'ordonnance de protection est délivrée, dans les meilleurs délais, par le juge aux affaires familiales, s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés. »
[9] Article 32 II de la loi N°2014-873 du 4 août 2014 pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes : L’article 515-12 du même code est ainsi modifié : 1° à la fin de la première phrase, les mots « quatre mois » sont remplacés par les mots « six mois à compter de la notification de l’ordonnance ».
[10]Pour une illustration des motifs de rejet : Cour d’Appel d’Orléans 13 juillet 2011 N°11/00234 / Cour d’Appel de Dijon 31 mars 2011 N° 10/02665)
[11] « Le juge civil confronté aux violences au sein du couple : regard sur le juge aux affaires familiales et l’ordonnance de protection » Anna MATTEOLI, Collection Presses Universitaires de Sceaux, édition l’Hamarttan, Violence et droit.
[12] Rapport d’information N° 4169 sur la mise en application de la loi du 9 juillet 2010 par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République